Tribune : La décentralisation passe aussi par les transports
Publié dans La Tribune le 17/12/2013
Auteurs : Françoise Coutant, François-Michel Lambert, Pierre Serne, Guillaume Vuilletet
La gestion des transports doit, elle aussi, être décentralisée. Il en va de la clarté et de la cohérence de l’action publique. Par Françoise Coutant, vice président, Europe Ecologie les Verts (EELV) de la région Poitou-Charentes, François-Michel Lambert député EELV, Pierre Serne, vice président EELV de la région Île de France, Guillaume Vuilletet, conseiller régional Île de France, EELV.
Le projet de loi de décentralisation portée par Madame Lebranchu était particulièrement attendu. Nous sommes des élus, représentants des régions, des départements, des communes, et nous espérions avec impatience le lancement d’une nouvelle dynamique régionale. Le « désengagement de l’Etat » maintes fois dénoncé, devait être rectifié par une réforme pragmatique, visant à favoriser la clarté de l’action publique et la cohérence de celle-ci.
Or, les arbitrages en cascade et les hésitations diverses ont tout de suite fait craindre à un texte vidé de son sens et sans ligne directrice. Après les réactions virulentes des collectivités territoriales et de leurs élus, le Sénat a donc été chargé d’améliorer le projet initial. Une tâche particulièrement périlleuse au vu du découpage de ce dernier en trois projets distincts, somme toute déconnectés les uns des autres. Le tangage du gouvernement et les innombrables versions du texte ont finalement exacerbé les inquiétudes sans dégager une unanimité.
La disparition du volet transport
Le choix initial d’isoler dans un premier projet de loi la définition des prérogatives des régions et des métropoles, était une erreur. Même si on perçoit la volonté du gouvernement de simplifier le projet de loi et de régler les problèmes les uns après les autres, on ne peut pas croire qu’un texte régulant les rapports entre les différents niveaux institutionnels de la République puisse être à ce point déconnecté des grands secteurs d’avenir.
Ce qui nous a le plus marqué dans la trajectoire de ce projet de loi, c’est la disparition progressive d’un véritable volet transport. Si la thématique du transport n’est pas la seule à avoir été relayée à un troisième texte, la nécessité de son examen dans les débats sur les compétences des régions et des métropoles est revenue logiquement.
Le transport est au carrefour des politiques
Sur ce point, le travail des parlementaires a été déterminant. Même si on pourrait critiquer le happening parlementaire, de nombreux élus se sont pleinement investis pour donner un maximum de cohérence et de clarté à ce texte très critiqué. Si les débats ont été houleux, ils ont bien souvent transcendé les formations politiques par leur évidence. Cette situation, qui a permis de réintégrer les dispositions sur les Autorités Organisatrices de la Mobilité Durable, traduit l’importance de la mobilité dans les politiques d’avenir et dans le développement de nos territoires. En effet, le transport est au carrefour des politiques économiques, sociales, et environnementales de demain.
Des besoins croissants
Dans de nombreux territoires, les réseaux se détériorent obligeant les utilisateurs au « tout-voiture ». Le développement d’un mode de vie urbain accentue les besoins de mobilité. Pour faire bon point, il faut souligner que le départ d’un certain nombre de services publics des territoires périphériques renforce aussi ce besoin.
Pour les habitants de ces territoires, se déplacer devient plus complexe, plus coûteux et parfois inatteignable. Cela touche en priorité les populations précaires, dépendantes des transports collectifs. En effet, comment trouver un emploi ou même le garder lorsque celui-ci est éloigné de son domicile et qu’il n’existe pas d’infrastructures adaptées ? Le déplacement est désormais au centre de la problématique de l’emploi. Il l’est aussi concernant les solidarités. Le vieillissement de la population, l’accès aux soins et aux services sociaux sont impactés par une offre de transport de moins en moins adaptée.
Les transports, source de nuisances
Sans oublier les impacts sur l’environnement et la qualité de vie. Nous ne pouvons accepter pour notre planète et pour notre santé que 27% des émissions de gaz à effet de serre de la région Ile-de-France aient pour origine le trafic routier- et quasi exclusivement l’usage de la voiture. Les transports sont considérés aujourd’hui comme la principale source de nuisances sonores, dont près de 60% sont imputables à la circulation routière.
En tant qu’élus, cette réalité nous la vivons au quotidien dans chacune de nos villes et chacune de nos régions. Nous considérons que les territoires ne sont que trop abimés par les nuisances dues à l’absence de transports publics. Déserts, saturation des réseaux, retards à répétition, pollution…
Repenser les déplacements
Il faut maintenant lancer une transition écologique ambitieuse qui permettra la sortie de crise. En modifiant en profondeur nos modes de vie et notamment notre manière de nous déplacer, nous pourrons faire bouger les règles qui encadrent la mobilité et donner enfin une vraie place aux déplacements alternatifs et collectifs. Tendre vers une mobilité durable, c’est se tourner vers l’avenir et repenser les déplacements dans un souci écologique et fonctionnel.
Nous sommes des écologistes, et nous souhaitons être les fers de lance de à la mise en place de politiques qui nous permettent de mieux vivre ensemble, dans de bonnes conditions, durablement sur cette planète.
Que les collectivités locales disposent d’outils cohérents
Pour répondre à ces besoins de mobilité inédits, et dans un souci de justice sociale et environnementale, nous devons repenser l’organisation et l’articulation de l’offre de transport. L’enjeu est de permettre aux collectivités territoriales de se doter d’outils cohérents et pratiques pour promouvoir une nouvelle politique de mobilité à la hauteur des besoins des français.
Le rapport « Duron » remis le 27 juin par la commission Mobilité 21 à Frédéric Cuvillier va dans ce sens. Ces recommandations invitent à modifier en profondeur la politique du transport. Le choix est fait de se dégager des projets les plus lourds pour moderniser et renforcer les réseaux existants, quitte à reporter des projets d’envergure non financés. La dynamique veut que l’argent qui est investi aille vers des réalisations locales, qui correspondent mieux à la réalité quotidienne de millions de français.
Un recentrage sur les déplacements locaux
Ce rapport confirme la tendance générale d’un recentrage sur les déplacements locaux et fixe une ligne directrice. Alors que l’argent public se fait rare, il semble que l’Etat se soit décidé avec lucidité à privilégier le transport de proximité, plus concret et surtout plus immédiatement utile. Finie donc la distribution de milliards d’euros pour des projets dont on ignore parfois l’intérêt pour le plus grand nombre et dont – par ailleurs – on a systématiquement minoré les effets sur l’environnement.
Comme l’a souligné le gouvernement, il faut désormais investir dans la qualité des services offerts aux usagers et dans l’amélioration de l’offre. On est bel et bien dans une redéfinition de la politique de mobilité, vers une intermodalité des transports, utile, pratique et raisonnable. Le combat pour l’égalité des territoires ne se résume pas à une programmation d’équipements lourds. C’est aussi garantir aux habitants de chacun d’entre eux la même capacité de se déplacer, pour étudier, travailler, se divertir, se soigner… On oublie souvent que, si la région Ile de France est considérée comme l’une des plus attractives d’Europe, c’est parce que l’un ses principaux atouts, c’est un système de transport qui maille efficacement son territoire.
Décentraliser le dossier transports
Parce qu’ils sont au centre de nos nouveaux modes de vie, les déplacements doivent à présent trouver toute leur place dans le nouvel acte de décentralisation. A ce sujet, nous voulons affirmer notre soutien à la dépénalisation du stationnement réintroduite par les sénateurs dans le texte. Il est indispensable que les collectivités territoriales disposent enfin de moyens suffisants pour impulser une politique de mobilité volontariste et mettre en place des transports innovants et efficaces.
Après cette première séquence de débat, au Sénat puis à l’Assemblée, les acteurs publics locaux vont bénéficier d’outils importants. C’est le cas de la possibilité de mettre en œuvre rapidement les Schéma Régionaux de l’Intermodalité, prévu aujourd’hui dans cette première loi, et qui représentent une avancée majeure. Ces schémas sont l’avenir parce que ce sont eux qui permettront de coordonner les différents modes alternatifs de transports pour répondre aux besoins des usagers. Ce sont également eux qui amèneront tous les acteurs à mettre leurs efforts en cohérence.
Un droit immuable au déplacement
Ils instituent des leviers permettant de développer une mobilité durable afin d’arriver à une complémentarité des réseaux et à une amélioration de l’information offerte aux usagers. Des dispositions positives pour la mosaïque actuelle des services de transports, qui fixent une base commune pour tous, et précise le rôle de chacun. A l’époque de l’Etat flamboyant, l’attractivité du territoire et les politiques de transport consistaient en un vaste catalogue d’équipements lourds, dit structurant. Cette période est révolue. D’une part, elle a montré ses limites en termes d’aménagement du territoire, d’autre part, nous n’en avons plus les moyens. Enfin, elle oubliait juste l’essentiel : c’est que chacun d’entre nous puisse; selon ses nécessités se déplacer d’un endroit à un autre, car c’est un droit immuable.
Passer de la concurrence à la complémentarité
Aujourd’hui il faut un nouveau souffle et impulser une politique de mobilité adaptée à nos besoins. Etre lucide, pragmatique ou tout simplement efficace consiste à coordonner les moyens et les initiatives pour remplir cet objectif. C’est cela qui doit conduire l’essentiel de l’action publique future en matière de déplacement, cela s’appelle l’intermodalité. C’est la seule solution, en particulier en milieu rural, pour répondre à la crise économique, écologique et sociale du transport. Il y a urgence, c’est maintenant qu’il faut la mettre en œuvre et passer d’une logique de concurrence à une logique de complémentarité. La loi va nous le permettre plus vite que prévu. A nous de jouer collectivement dans nos régions pour en faire une réalité.